I BALLARIN DI MURANO

Giorgio (Zorzi) naquit aux environs de 1440 à Spalato en Dalmatie et s’installa aussitôt à Murano avec son père Pietro, sa mère et son frère Stefano. Giorgio di Pietro dit Zorzi le Spalatino, est considéré comme le véritable ancêtre de l’illustre famille Ballarin de Murano, qui donna naissance à différentes personnalités aussi bien dans l’art du verre que dans le commerce ou dans la carrière politico-diplomatique. Un document du 31 mai 1456 témoigne que Zorzi, entra en qualité de ‘famiglio’, au service du verrier Domenico Caner, qui lui aussi d’origine dalmate avait ouvert un four à Murano. Dans un texte de l’époque, il est désigné comme “Georgius Sclavonus famulus ser Menegin Caner.”

Zorzi apprit l’art du verre comme nul autre avant lui. Lors d’une opération délicate, un ouvrier laissa tomber, sur son pied gauche, le chalumeau de verrier. Depuis ce jour et à cause de sa démarche devenue claudicante, il fut affublé d’un nouveau surnom : il ballarino (le danseur). En effet, les documents de Murano le nomment pour la première fois le 20 octobre 1479 “Zorzi da Spalato dito Ballarin”. A compter de ce jour, l’île de Murano eut une nouvelle famille qui allait devenir la noble dynastie de intus ed extra des Ballarin de Murano.

Après son expérience chez le verrier Domenico Caner, on retrouve Giorgio Ballarin dans la décennie 1470 – 80 dans la verrerie d’Angelo Barovier. En effet, à la mort de ce dernier en 1460, la direction du four fut prise en main par les enfants Giovanni et Marietta (Maria) Barovier. Giorgio qui put assister à la préparation des recettes du philosophe et chimiste Paolo Godi della Pergola, commença ainsi à créer de splendides verres cristallins. A cette époque la verrerie réalisa la célèbre coupe de mariage sur laquelle figurent les deux amants Marietta et Giorgio (Zorzi) exposée au Musée du verre à Murano. A fur et à mesure, il perfectionna l’art et initia en 1483 une activité en propre sous le nom de la verrerie ‘Al San Marco’.

Le 10 avril 1492 Giorgio Ballarin demanda et obtint le droit de la part du Doge Agostino Barbarigo, d’installer chez lui le verrier Robert de Thysac, fils de François du village de Darney en Lorraine qui voulait fabriquer à Murano, suivant des procédés secrets, de grandes plaques de verre de couleur, destinées à faire des vitraux représentant des sujets et des armoiries. Ce verre était de toute beauté, personne en Italie ne pouvait en obtenir de semblables.

Les tons, rubis transparent et roses surtout, émerveillaient tout le monde. Fort de l’appui de son chef d’état, Giorgio Ballarin, fit construire, dans un endroit caché de sa demeure, un four spécial. Là, Robert de Thysac, pouvait travailler à son aise et apprendre à son hôte les mystères de la fabrication. Giorgio Ballarin devint maître dans ce que Robert de Thysac lui enseignait. En échange l’artiste italien avait hébergé le jeune lorrain et lui avait appris les tours de mains de la verrerie vénitienne.

Les œuvres des deux maîtres, lorrain et italien, travaillant dans cet atelier ‘clandestin’, acquirent une telle renommée qu’elle attisa dans un premier temps la jalousie des autres artistes de Murano. La couleur rubis transparent devint avec le cristal, une matière très recherchée par les nobles de Venise et d’Italie. L’année suivante Giorgio Ballarin fut nommé « Gastaldo » de l’art verrier et devint par la suite l’un des entrepreneurs les plus importants et riches de l’île.

En même temps qu’il revint en Lorraine, Thysac sollicita l’autorisation au Duc René II de construire « tout à neuf une verrerie au hameau la Frison, avec maison d’habitation et dépendances pour se loger avec sa famille, ses gens et serviteurs ». L’entreprise de Robert et François de Thysac fut couronnée de succès et la verrerie survit jusqu’à nos jours sous le nom de « la Rochère », la plus ancienne cristallerie de France.

Au cours de sa vie Giorgio devint le propriétaire de quelques palais à Murano et dans la région de Trévise. Il fit construire pour sa famille, ses descendants et pour lui-même, une chapelle dans l’église de San Pietro Martire de Murano, où en 1506 Giorgio Ballarin trouva le repos éternel.

Cette fulgurante ascension sociale, en pleine renaissance vénitienne, entourée d’un climat suspicieux et envieux, demeura pendant des siècles dans la mémoire collective des Muranais et inspira, lors d’une visite à Murano en 1898, l’écrivain américain Francis Marion Crawford pour son récit “Marietta a maid of Venice” dont la version originale anglaise fut publiée en 1901.

En 1905 la musicienne australienne Mona Mc Burney composa et adapta cette Novel dans un  Opéra appelé « The Dalmatian ». Il fut mis en scène pour la première fois en décembre 1910 à Melbourne. Mona Mc Burney entra  dans l’histoire comme la première compositrice féminine d’Opéra en Australie.

 

La descendance de Giorgio :

Francesco (1480 – 1555), excellent fabriquant de vases, fut connu au-delà des frontières de la République Vénitienne pour ses très belles expositions pendant les fêtes de la Sensa à San Marco.

Giovanni (1485 – 1512), Gastaldo dell’Arte, passionné par la décoration des objets en cuivre émaillé qui témoignent de l’influence mauresque à Venise. Ils comprennent des pièces profanes mais aussi liturgiques tels des reliquaires, ciboires, assiettes, plats et aiguières. La forme et la décoration des objets en cuivre émaillé sont très proches de ceux en verre de Murano de la même époque. Les pièces qui ont subsisté sont rares. Des exemplaires sont conservés notamment à Paris au musée du Louvre.

Domenico (1490 – 1570), Gastaldo dell’Arte, vit sa notoriété se répandre dans les cours italiennes et dans les milieux artistiques les plus élevés, jusqu’au-delà des Alpes. Le poète Pietro Aretino, dans une lettre au duc de Mantoue datant du 3 novembre 1531, le définit comme “idolo in cotal arte” (semblable à un dieu dans cet Art). Connu à la cour de France sous le nom du “marchand vénitien” il fournissait ses splendides coupes de cristal au roi Francois Ier. Les chefs-d’œuvre crées pour les noces de son fils et futur roi Henry II avec Catherine de Médicis le 28 octobre 1533 furent particulièrement appréciés. Il s’agit de coupes dessinées et décorées par le peintre Giovanni da Udine qui furent par la suite immortalisées dans les tableaux des plus grands peintres de ce temps comme le Titien, Romanino, Véronèse et le Caravage.

Pietro (1532 – 1599) fils de Domenico, Gastaldo dell’Arte et Grand Guardian, bien que la situation politique ait été toujours tendue entre la République de Venise et l’Empire Ottoman, le Sultanat ne manquait pas de se faire parvenir à Constantinople, différents produits en verre des Ballarin venant de leurs fours ‘Al San Marco et La Serena’. Dans la seule année 1590 la commande du Sultanat s’éleva à 900 pièces environ. La Basilique de San Marco elle-même, ne manqua pas d’acquérir de grandes quantités d’émaux colorés pour ses splendides mosaïques.

Giovanni-Battista (1603 – 1666), Grand Chancelier de la République de Venise, Ambassadeur extraordinaire à la cour du Sultan à Constantinople, pendant une énième tentative de négocier la paix avec les Ottomans pour sauver l’ile de Candie (Crète). Il meurt le 29 septembre 1666 à Isdin (Lamia) en Macédoine.

Domenico (1632 – 1698), Grand Chancelier de la République de Venise, il réforme en profondeur l’administration de l’Etat, élabore avec le futur Doge Francesco Morosini, la stratégie de reconquête militaire de la Morée contre la Porte. A sa mort des funérailles d’Etat sont célébrées dans la Basilic San Marc.

Aujourd’hui au XXI° siècle une dernière lignée historique est encore présente sur l’île de Murano, réalisant dans ses fours de splendides œuvres d’art qui sont très recherchées dans le monde entier. 

Stefano Ballarin Barbarigo Michiel (© all right reserved)